La dysfonction sexuelle dans la sclérodermie
Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal
Introduction
La sclérose systémique est une maladie du tissu conjonctif associée à des anomalies au niveau des vaisseaux sanguins et du système immunitaire, menant progressivement à une fibrose de la peau et des organes internes. La dysfonction sexuelle dans la sclérodermie est une plainte exprimée fréquemment par les malades. Le problème le plus fréquent chez l’homme est la dysfonction érectile, alors que chez la femme les causes sont plus complexes. Dans cet article, nous allons résumer les études portant sur la dysfonction érectile chez l’homme et la dysfonction sexuelle chez la femme attribuées à la sclérodermie.
La dysfonction érectile chez l’homme dans la sclérodermie
Définition et prévalence
La dysfonction érectile (DE) est définie comme l’incapacité à obtenir ou à maintenir une érection suffisante pour une activité sexuelle satisfaisante malgré une libido préservée. Elle est rapportée plus fréquemment chez les hommes atteints de sclérodermie que dans la population générale masculine en Amérique du Nord. Jusqu’à 81 % des hommes sclérodermiques rapportent de la DE, mais sa prévalence est difficile à estimer avec précision à cause de certaines limitations des études, qui sont peu nombreuses sur ce sujet. La DE peut survenir précocement dans l’évolution de la maladie (le plus souvent de 1 à 4 ans après le diagnostic de la sclérodermie) et, rarement, elle peut en être le premier symptôme. Même si la DE est relativement bénigne en comparaison aux complications potentiellement sérieuses de la sclérodermie, la DE a un impact significatif sur la qualité de vie des patients et de leurs partenaires, et devrait donc être considérée comme un problème important à adresser.
Causes
Les causes de la DE associée à la sclérodermie ne sont pas encore complètement élucidées. Cependant, les causes principales sont similaires à celles des autres complications de la sclérodermie : rétrécissement des petits vaisseaux sanguins menant à une réduction de la circulation sanguine puis à la fibrose des organes génitaux. Des anomalies des petits nerfs locaux et des problèmes hormonaux ne semblent pas impliqués d’après des études plus récentes. Cependant, il est important de rechercher les causes de DE qui ne sont pas nécessairement dues à la sclérodermie, telles le diabète, l’athérosclérose (durcissement des vaisseaux sanguins souvent par excès de cholestérol ou de triglycérides dans le sang), la haute pression, les effets secondaires de certains médicaments et des problèmes d’ordre psychologique (la dépression ou l’anxiété par exemple, qui peuvent accompagner le diagnostic de sclérodermie).
Traitements
Le but du traitement de la DE associée à la sclérodermie est d’améliorer le flot de sang aux organes génitaux de façon similaire au traitement du phénomène de Raynaud ou des ulcères des doigts. Plusieurs études ont démontré l’efficacité de la classe des médicaments dite « inhibiteurs de la phosphodiestérase de type-5 » (PDE-5). Les médicaments de cette classe utilisés comme traitement de la DE dans la sclérodermie (comprimés à prendre par la bouche) sont : le sildénafil (Viagra®) 25 à 50 mg, le vardénafil (Levitra®) 5 à 20 mg, et le tadalafil (Cialis®) 10 à 20 mg. Une prise constante d’un de ces médicaments (quotidienne ou aux deux jours) est plus efficace qu’une prise occasionnelle au besoin. L’indication de débuter un de ces médicaments et la dose devraient être déterminées par un spécialiste dans le domaine (rhumatologue ou urologue) pour éviter les effets indésirables et les interactions possibles avec d’autres médicaments. Les résultats avec ces traitements sont souvent moins bons dans la sclérodermie que chez les hommes non sclérodermiques.
Dans le cas d’inefficacité, de contre-indication ou d’intolérance aux inhibiteurs de la PDE-5, plusieurs autres traitements sont possibles : l’appareil sous vide (tube placé de manière étanche sur le pénis qui permet d’y attirer le sang en pompant l’air du tube), les prostacyclines (alprostadil) soit injectées dans le pénis ou insérées dans l’urètre sous forme de pastille et, en dernier recours, les implants péniens (risque de complications post-chirurgicales plus grand chez les patients sclérodermiques). L’évaluation et le suivi de ces traitements devraient se faire par un spécialiste de ce domaine (urologue). Encore une fois, l’efficacité de ces approches est moins bonne que chez les hommes non atteints de sclérodermie.
Il ne faut pas oublier d’identifier et de traiter les causes de DE modifiables qui ne sont pas attribuées à la sclérodermie (diabète, athérosclérose et problèmes du cholestérol et des triglycérides, hypertension artérielle, effets médicamenteux, tabagisme, consommation excessive d’alcool et causes psychologiques), d’où l’importance d’un suivi par un médecin de famille ou occasionnellement par un spécialiste de médecine interne chez certains malades plus complexes.
La dysfonction sexuelle chez la femme dans la sclérodermie
Malgré le fait que la sclérodermie touche plus souvent les femmes que les hommes, il n’y a que très peu d’études sur les problèmes sexuels chez les femmes atteintes de sclérodermie. La définition de la dysfonction sexuelle chez la femme (DSF) est une baisse persistante ou récurrente du désir sexuel, la présence de douleurs lors des relations sexuelles et une difficulté ou incapacité à atteindre l’orgasme. La DSF est rapportée chez 20 à 50 % des femmes, mais ce chiffre est probablement sous-estimé à cause de la nature taboue du sujet.
Comme chez les hommes, la DSF chez les femmes a souvent des répercussions significatives sur la qualité de vie et sur les relations interpersonnelles des patientes. La cause de la DSF dans la sclérodermie est complexe et peu comprise. Plusieurs changements dus à la sclérodermie peuvent contribuer à la DSF : fibrose et rétrécissement de la peau autour des organes génitaux et des seins, faiblesse musculaire, douleurs et contractures articulaires et lubrification vaginale abaissée. Contrairement à la DE chez l’homme, la DSF ne semble pas reliée aux problèmes vasculaires et circulatoires des organes génitaux. Par ce fait, les inhibiteurs de la PDE-5 dans la DSF associée à la sclérodermie sont moins efficaces que dans la DE chez l’homme sclérodermique. Par contre, il faut rechercher et traiter les causes modifiables de DSF (effets médicamenteux, syndrome de Sjögren avec sècheresse vaginale, aspects psychologiques) autant chez l’homme que chez la femme.
Malgré les nombreuses difficultés physiques et psychologiques associées à la sclérodermie, environ 60 % des femmes sclérodermiques demeurent actives sexuellement. Une approche globale, non-médicamenteuse, est souvent plus efficace pour traiter la DSF dans la sclérodermie : agents de lubrification vaginale, conseils par rapport aux positions lors des relations sexuelles, éviter les médicaments pouvant accentuer la DSF et prendre en compte adéquatement les problèmes psychologiques.
Conclusion
La dysfonction sexuelle est un problème fréquent dans la sclérodermie autant chez l’homme que chez la femme. Chez les hommes, la dysfonction érectile est le plus souvent due au rétrécissement des petits vaisseaux sanguins et à la fibrose des organes génitaux. La prise soutenue des inhibiteurs de la PDE-5 est le traitement de première ligne. Une consultation avec un urologue est souvent utile. Chez la femme, la dysfonction sexuelle est plus complexe et répond peu aux inhibiteurs de la PDE-5.
Il est important de rechercher et traiter les causes modifiables chez tous les patients sclérodermiques, incluant les aspects psychologiques souvent associés aux inquiétudes par rapport à la maladie. Les médecins traitants devraient être sensibilisés à la présence de dysfonction sexuelle comme complication fréquente de la sclérodermie. Des études subséquentes sont nécessaires dans ce domaine pour en améliorer la compréhension et les traitements.
Le Bulletin de Sclérodermie Québec, hiver 2011-2012, volume 15, numéro 2, pages 4 et 5