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L’atteinte pulmonaire et son traitement dans la sclérose systémique – Deuxième partie

Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal

 

L’atteinte des poumons est une des complications viscérales les plus fréquentes de la sclérose systémique, survenant chez plus de 70% des malades. Elle peut affecter les poumons à des degrés variables, et confère généralement un pronostic plus sombre dans les cas plus graves. Il existe deux types principaux de complications pulmonaires reliés à la sclérodermie : la maladie pulmonaire interstitielle (MPI) et l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), qui peuvent survenir de façon isolée ou coexister. Dans cet article, nous allons traiter de l’HTAP.

L’HTAP survient chez 7 à 50% des malades atteints de sclérodermie. Cette variation s’explique par une fréquence possiblement sous-estimée dans certaines études faute de dépistage systématique dans le passé. L’HTAP est une anomalie des vaisseaux des poumons associée le plus souvent à la sclérodermie de forme limitée et survenant après 10 à 20 ans d’évolution de la maladie. Elle peut cependant aussi être une complication tardive d’une MPI sévère. Dans l’HTAP, il y a un rétrécissement exagéré des vaisseaux sanguins (artères) des poumons. Ceci est dû à la présence en quantité accrue de molécules (signaux chimiques) favorisant la contraction et l’oblitération des artères pulmonaires d’une part, et une quantité relativement insuffisante de molécules favorisant leur dilatation d’autre part. Le facteur qui déclenche ce déséquilibre est inconnu. Le danger d’avoir une pression très élevée dans les artères des poumons de manière continue est dû au fait que cela oblige le coeur à forcer davantage pour pouvoir faire circuler le sang à travers les poumons. A la longue (plusieurs années), cela finit par causer une défaillance du coeur particulièrement de son côté droit – c’est ce que les médecins appellent insuffisance cardiaque droite.

L’HTAP est souvent silencieuse au début, mais avec le temps elle peut causer des symptômes variés: essoufflement à l’effort physique, douleurs dans la poitrine, sensation imminente de perte de connaissance ou même perte de connaissance franche (syncope) dans les cas plus avancés. L’examen physique par le médecin est souvent peu révélateur dans les phases précoces, mais il va démontrer des signes de malfonction du coeur chez les personnes plus gravement atteintes. Dans ces derniers cas, l’examen démontrera par exemple des anomalies à l’auscultation cardiaque avec le stéthoscope et, en cas de défaillance cardiaque, la distension anormale des veines du cou et l’enflure (oedème) des pieds et des jambes. Étant donné l’absence de symptômes spécifiques au début de l’HTAP, les rhumatologues procèdent à un dépistage dirigé périodique chez tous les malades atteints de sclérodermie à l’aide des tests de fonctions respiratoires (TFR) et de l’échographie cardiaque. Ces tests sont faits de manière plus rapprochée (au moins annuellement) chez les patients plus à risque, tels que les patients avec sclérodermie limitée de longue durée ou sclérodermie diffuse avec MPI. Lorsqu’il y a soupçon d’HTAP, il est nécessaire pour préciser le diagnostic de procéder à une investigation plus invasive, c’est-à-dire le cathétérisme du cœur droit (et souvent aussi du coeur gauche). Ceci est effectué par un cardiologue.

Étant donné la complexité du diagnostic, de l’évaluation initiale, de l’administration de certains  médicaments  (surtout les prostacyclines – voir plus bas) et du suivi, les patients soupçonnés d’avoir une HTAP sont dirigés dans des centres spécialisés pour prise en charge, avec suivi concomitant par le rhumatologue traitant.

Les indications pour débuter un traitement de l’HTAP sont les suivantes : présence d’HTAP (telle que confirmée par cathétérisme cardiaque) associée à la présence de symptômes (essoufflement à l’effort physique) avec atteinte fonctionnelle modérée ou sévère. Le traitement de l’HTAP a donc pour but de dilater les vaisseaux trop rétrécis et ainsi de diminuer la pression élevée dans les artères pulmonaires avec des médicaments qui agissent par des mécanismes différents :

  • les antagonistes du récepteur de l’endothéline-1 tels que le bosentan (Tracleer®); 
  • les prostacyclines : époprostenol (Flolan®), tréprostinil (Remodulin®) et iloprost (Ventavis®);
  • les inhibiteurs de la phosphodiestérase-5 : sildénafil (Viagra®) et tadalafil (Cialis®). 

Les prostacyclines sont le plus ancien traitement pour l’HTAP, surtout l’époprosténol (Flolan®). Malgré son efficacité, ce traitement est souvent mal toléré, surtout en raison des inconvénients de son administration (nécessite un cathéter dans une veine centrale avec perfusion continue par une pompe 24 heures sur 24, avec des risques d’infection). Cependant, de nouvelles formulations de prostacyclines ont vu le jour récemment avec une administration plus facile : le tréprostinil (Remodulin®), qui nécessite plutôt une pompe portable à micro-infusion sous-cutanée semblable aux pompes à insuline, et l’iloprost en inhalation intra-nasale (Ventavis®), qui est plus facile à administrer mais nécessite quand même de 6 à 9 traitements par jour et est malheureusement moins efficace à long terme.

Lorsqu’on met dans la balance la facilité d’administration (comprimés à prendre deux à trois fois par jour, selon le médicament), les effets secondaires minimes, et l’efficacité du médicament, les meilleurs traitements pour l’HTAP disponibles actuellement sont : le bosentan (Tracleer®), et les inhibiteurs de la phosphodietérase-5 (Viagra® et Cialis® ). De façon générale, les spécialistes vont débuter un traitement avec le bosentan, le sildénafil ou les prostacyclines par inhalation ou par pompe sous-cutanée. La prostacycline par voie intra-veineuse est réservée aux cas d’HTAP très sévères, ou lorsqu’il y a échec ou intolérance au traitement initial. S’il n’y pas de réponse à la prostacycline intra-veineuse, un traitement combiné, associant plusieurs agents de classes différentes, pourrait être envisagé. En dernier recours, il existe l’option de greffe de poumons ou cœur-poumons, après une évaluation médicale et multidisciplinaire détaillée.

Un traitement concomitant est souvent utilisé chez les malades atteints d’HTAP sévère : il s’agit de l’anticoagulation avec de la warfarine (Coumadin®) pour empêcher la formation de caillots dans les poumons; des médicaments tels que les diurétiques (par exemple furosemide ou Lasix®) et la digitale (Digoxin®) sont aussi utiles pour traiter la défaillance cardiaque.  L’oxygène à domicile est réservé aux malades les plus sévères.

Le suivi des patients atteints d’HTAP se fait par le questionnaire médical, l’examen physique, et des investigations périodiques : prélèvements sanguins au mois (vérification de l’efficacité de l’anticoagulation, recherche des effets secondaires de certains médicaments), TFR, échographie cardiaque, et possiblement un cathétérisme cardiaque de contrôle dans certains cas. Un test simple employé dans les centres spécialisés en traitement de l’HTAP est la distance de marche en 6 minutes : l’efficacité des traitements est typiquement associée à une diminution de l’essoufflement et une meilleure tolérance à l’effort physique qui se traduisent par la capacité de marcher plus loin en 6 minutes. 

En conclusion, l’HTAP est une complication relativement fréquente de la sclérose systémique. Sa fréquence a été sous-estimée dans le passé, à cause de l’absence de moyen simple en permettant la détection. Depuis les 10 dernières années, grâce à la recherche l’HTAP est devenue une condition davantage traitable et 5 médicaments approuvés et efficaces sont disponibles.  Ces médicaments améliorent la qualité de vie et l’espérance de vie des patients sclérodermiques atteints d’HTAP. De plus, de nouveaux médicaments sont en évaluation : ils ont été démontrés comme améliorant la survie chez des malades avec HTAP primaire (c’est-à-dire sans sclérodermie ou autre maladie associée) et semblent aussi prometteurs pour les personnes atteintes d’HTAP due à la sclérodermie.

Bulletin de Sclérodermie Québec, printemps 2008- volume 12, numéro 1, pages 4 et 5

 

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