Les atteintes cutanées associées à la sclérodermie
Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal
Même si les atteintes cutanées dans la sclérodermie ne mettent pas la vie en danger par rapport à certaines manifestations potentiellement plus graves comme, par exemple, l’hypertension pulmonaire, elles sont souvent une cause d’inquiétude, d’anxiété et d’inconfort et peuvent parfois entraver la qualité de vie de façon importante.
Les atteintes cutanées les plus fréquentes associées à la sclérodermie desquelles nous allons traiter dans ce numéro sont le durcissement cutané ou fibrose, les télangiectasies, la calcinose, les démangeaisons, la sécheresse de la peau et les troubles de pigmentation.
Le durcissement cutané ou fibrose
L’atteinte caractéristique de la sclérodermie est le durcissement de la peau, tel qu’illustré par le nom de la maladie, dérivé des mots grecs « scléro » qui signifie dur, et « dermie » qui signifie peau. Ce durcissement ou fibrose de la peau est dû à des mécanismes complexes impliquant des anomalies des petits vaisseaux sanguins ainsi que du système immunitaire, et c’est souvent un des premiers signes de la sclérodermie. Lorsque la fibrose ne touche que la peau des mains et parfois des pieds, du visage et du cou, nous parlons de sclérodermie de forme limitée. Quand elle s’étend à la peau du tronc, et parfois aux bras, aux jambes et même à l’abdomen, nous parlons de sclérodermie diffuse.
Certains médicaments agissant contre la fibrose sont présentement à l’étude dans la sclérodermie et pourraient éventuellement être prometteurs pour empêcher la progression de la fibrose ou même renverser partiellement la fibrose.
Les télangiectasies
Les télangiectasies sont des dilatations de petits vaisseaux sanguins qui forment des taches rouges ou parfois violacées à la surface de la peau. Elles sont dues à la prolifération anarchique de ces petits vaisseaux, et sont typiquement retrouvées dans la sclérodermie de forme limitée. Elles sont présentes le plus souvent sur les doigts et les mains, le thorax et le visage, et peuvent même se retrouver sur les lèvres et la langue. Les télangiectasies localisées à la surface de la peau ne sont pas graves, ne saignent habituellement pas, et n’évoluent pas en lésions plus graves (par exemple, cancer) avec le temps. Par contre, des télangiectasies peuvent occasionnellement être présentes dans le tube digestif et plus rarement dans la vessie, où elles peuvent causer des saignements microscopiques et parfois causer de l’anémie plus ou moins sévère.
Le traitement au laser est le traitement le plus efficace pour faire disparaître les télangiectasies sur la peau et au niveau des organes internes. Par contre, il faut savoir que, à cause de l’évolution naturelle de la sclérodermie, d’autres télangiectasies peuvent éventuellement apparaître dans les zones traitées au laser.
La calcinose
La calcinose est caractérisée par la formation de petits dépôts de calcium d’apparence blanchâtre sous la peau. Ces dépôts se retrouvent le plus souvent au niveau des doigts, des coudes et des genoux, mais ils peuvent se retrouver sur toutes les régions du corps. Les dépôts de calcium peuvent être de tailles variables, parfois uniquement visibles sur des radiographies, ou peuvent être plus volumineux et apparents à l’œil nu. Ils peuvent être une source de douleurs soit chroniques (lorsque situés à des sites de pression, comme par exemple, sur les coudes ou dans la région fessière), ou aiguës lorsqu’ils deviennent enflammés (rouges, chauds et parfois enflés). Ils peuvent également aboutir à la surface de la peau et causer un écoulement blanchâtre crayeux, et deviennent ainsi une cible d’infection par les microbes situés sur la peau, d’où l’importance de bien protéger ces dépôts perforés (soins d’hygiène locaux avec application de pansement sec).
La cause exacte de la calcinose n’est pas entièrement connue, et malgré des essais thérapeutiques avec plusieurs médicaments (colchicine, diltiazem, coumadin, et biphosphonates), il n’y a pas de traitement médical qui soit uniformément efficace pour prévenir ou faire régresser la calcinose. Dans les cas plus sévères et incommodants, une exérèse chirurgicale pourrait se faire pour les dépôts volumineux, et une ablation au laser au CO2 pourrait être tentée pour les dépôts plus petits.
Les démangeaisons
Les démangeaisons sont fréquentes dans la sclérodermie, surtout dans la phase précoce, et ont tendance à s’atténuer ou à disparaître entre six mois à cinq ans après le début de la maladie. Pour certains patients, les démangeaisons peuvent être le symptôme le plus incommodant de la sclérodermie, pouvant même entraver la qualité de vie et du sommeil. Une des sources des démangeaisons est l’augmentation du nombre des cellules produisant de l’histamine (substance responsable des démangeaisons) au niveau de la peau en voie de durcissement.
Des médicaments antihistaminiques (par exemple, le Bénadryl), le doxepin ou les glucocorticoïdes (cortisone) à faibles doses sont souvent utiles, mais un usage à long terme sans supervision médicale n’est pas recommandé à cause des effets secondaires possibles. Des lotions topiques (appliquées sur la peau) contenant la pramoxine (substance qui diminue la sensation des démangeaisons) avec ou sans hydrocortisone (par exemple la lotion Sarna) peuvent également être utiles.
Une autre source de démangeaisons est la sécheresse de la peau. Pour éviter la sécheresse de la peau, il est préférable d’utiliser des gants pour éviter le contact direct avec certains produits irritants (détergents, nettoyants, savon à vaisselle, etc.), d’éviter les bains trop chauds et les bains moussants, et d’utiliser des crèmes ou des lotions pour empêcher la peau de se dessécher. Les savons surgras (par exemple, Dove, Alpha-Keri, Aveeno, Cétaphil, Eucerin, Moisturel, et Neutrogena), et les crèmes à base de lanoline, d’huile minérale légère, voire de vaseline (par exemple, Alpha-Keri, Eucerin, Lubriderm, Moisturel, Neutroderm et Neutrogena) sont recommandés.
Les démangeaisons généralisées peuvent rarement être le signe d’une maladie du foie, la cirrhose biliaire primitive, parfois associée à la sclérodermie. Des prélèvements sanguins peuvent aider à diagnostiquer cette maladie traitable.
Les troubles de pigmentation
Les troubles de pigmentation se traduisent par des taches sombres (hyperpigmentation) ou pâles (hypopigmentation) sur la peau. Ces taches sont présentes chez environ un tiers des malades sclérodermiques. Comme les télangiectasies et la calcinose, les régions de la peau ayant des changements de pigmentation dans la sclérodermie ne sont pas dangereuses et n’évoluent pas en cancer. Il n’y a pas de traitement efficace pour rétablir la pigmentation normale, mais ces taches peuvent parfois s’améliorer spontanément avec le temps.
Conclusion
Mise à part la fibrose de la peau, qui est caractéristique de la sclérodermie, il existe plusieurs autres atteintes cutanées associées à cette maladie, comme les télangiectasies, la calcinose, les démangeaisons, la sécheresse de la peau et les troubles de pigmentation. Ces anomalies ne sont pas considérées comme étant graves et ne signifient pas un moins bon pronostic, mais elles sont souvent une source d’inquiétude, d’anxiété et d’inconfort, avec parfois diminution importante de la qualité de vie.
Une prise en charge globale du malade par une équipe multidisciplinaire incluant le rhumatologue, le dermatologue, et à l’occasion le chirurgien, le gastroentérologue et le psychologue, mène souvent à une amélioration optimale.