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LE PHÉNOMÈNE DE RAYNAUD ET LES ULCÉRATIONS DIGITALES : LEUR TRAITEMENT DANS LA SCLÉROSE SYSTÉMIQUE

Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal

  

Le problème le plus fréquent et le plus précoce de la sclérose systémique (ou sclérodermie) est le phénomène de Raynaud (PR), présent chez plus de 90% des patients. Ce phénomène est dû à un rétrécissement des vaisseaux des doigts occasionné par le froid et les émotions fortes, et se manifeste par un changement de couleurs, passant successivement du blanc au bleu puis finalement au rouge. Ce phénomène est causé par des anomalies fonctionnelles des vaisseaux au début (hyper réactivité réversible au froid), progressant vers des changements structuraux permanents (prolifération excessive de plusieurs cellules causant un rétrécissement fixe de l’ouverture du vaisseau et donc une circulation réduite). Le diagnostic est basé sur le questionnaire médical (recherche du changement typique de couleur des doigts au froid) et l’examen physique (recherche de blanchiment des doigts et de dilatation des petits vaisseaux ou « capillaires » à la base de l’ongle). Un examen spécialisé par microscopie à fort grossissement des petits vaisseaux capillaires du lit de l’ongle, ou « capillaroscopie »,  sera souvent  utile pour déterminer la présence de l’atteinte des capillaires typique de la sclérodermie et, si cela est le cas, qu’elle en est la sévérité. Le suivi des patients se fait par le questionnaire médical et l’examen physique, particulièrement à la recherche de certaines complications possibles au niveau des doigts dans les cas où les problèmes circulatoires sont plus sévères : des ulcérations des doigts (lésions ouvertes de la peau qui guérissent très lentement), une infection locale de la peau (cellulite), une infection de l’os sous-jacent (ostéite), de la nécrose  (mort d’une partie du doigt) ou même, rarement, l’auto-amputation (perte de l’extrémité du doigt).  

Le traitement du PR est basé sur une approche graduelle, débutant par des moyens conservateurs chez tous les malades, puis avec l’ajout d’un ou de plusieurs médicaments lorsque les symptômes deviennent plus importants. Le but du traitement  du PR est de deux ordres : 1)  l’amélioration des symptômes,  et 2) la prévention des complications citées plus haut.

Les mesures générales suggérées aux malades sont les suivantes :

  • éviter l’exposition subite au froid
  • réduire le stress
  • garder non-seulement les mains, mais tout le corps au chaud (p.ex. porter des sous-vêtements thermiques et un chapeau conservant la chaleur)
  • garder les doigts au chaud (p.ex. mitaines chaudes ou chauffe-mains électriques)
  • appliquer rapidement les méthodes pour terminer une attaque de PR : placer les mains dans un endroit chaud (p.ex. eau chaude, sous les aisselles) ou bouger les bras en rotation pour favoriser la circulation des extrémités
  • éviter les changements brusques de température (p.ex. passer d’une pièce réchauffée à une pièce climatisée), les brises froides et l’air froid humide
  • éviter de fumer ainsi que l’exposition à la fumée de cigarettes (le fait d’arrêter de fumer peut s’accompagner d’une amélioration importante du PR)
  • éviter les médicaments et produits qui pourraient rétrécir les vaisseaux : décongestionnants, amphétamines, pilules pour maigrir,  produits naturels contenant de l’éphedra
  • éviter les boissons contenant de la caféine (café, thé, colas)

  

Ces mesures simples peuvent être suffisantes pour traiter le PR au stade précoce (avant l’atteinte structurale). Cependant, lorsqu’il y a atteinte structurale des vaisseaux (rétrécissement fixe), ces mesures non pharmacologiques deviennent insuffisantes et le médecin traitant aura alors souvent recours à des médicaments ayant pour but de dilater les vaisseaux par des mécanismes distincts, tels que :

1)    Les bloqueurs des canaux calciques (en comprimés): 

  • nifédipine (Adalat XL®) : 30 à 180 mg par jour
  • amlodipine (Norvasc®) : 5 à 20 mg par jour
  • diltiazem (Cardizem® CD) : 120-480 mg par jour
  • félodipine (Plendil®) : 2.5 à 20 mg par jour
  • nisoldipine (Sular®) : 10-40 mg par jour
  • isradipine (DynaCirc® CR) : 5 à 20 mg par jour

  

2)    Les vasodilatateurs directs (en comprimés ou en application topique sur la peau):

  • nitroglycérine en onguent topique (Nitro-Bid®) : 0.5 pouce à 2 pouces aux 6 heures, 12  à 14 heures par jour
  • nitroglycérine en timbre transdermique (Nitro-Dur®) : 0.2 à 0.8 mg/heure, 12  à 14 heures par jour
  • hydralazine : 10 à 50 mg deux fois par jour
  • minoxidil (Rogaine®) : 5 à 80 mg par jour

 

3)    Les vasodilatateurs indirects (en comprimés) :

  • losartan (Cozaar®) : 25 à 100 mg par jour
  • sildénafil (Viagra®) : 50 mg deux fois par jour

  

4)    Les médicaments sympatholytiques (en comprimés) :

  • prazosin (Minipress®) : 0.5 à 3 mg deux fois par jour
  • méthyldopa : 250 à 500 mg deux fois par jour
  • réserpine : 0.05 à 0.25 mg par jour

 

L’approche générale du traitement médicamenteux du PR non compliqué (sans ulcération, nécrose ou danger d’auto-amputation) est de commencer par un bloqueur des canaux calciques tel que la nifédipine à action prolongée ou l’amlodipine et d’augmenter la dose graduellement selon la tolérance jusqu’à l’amélioration des symptômes. Si le médicament n’est pas toléré (étourdissements, maux de tête, enflure des pieds) ou n’est pas efficace à la plus haute dose tolérée, on substitue le médicament pour un autre bloqueur des canaux calciques cités ci-haut.  S’il n’y a toujours pas d’efficacité escomptée ou s’il y a intolérance, on tente un médicament d’une autre catégorie, seul ou parfois en combinaison. Pour des raisons encore inconnues, certains patients ne répondent qu’à une seule catégorie de médicaments ou même à un seul agent d’une catégorie donnée, d’où l’importance de tenter plusieurs médicaments pour trouver celui avec le meilleur profil d’efficacité et d’effets indésirables. 

Lorsqu’il y a présence d’ulcères digitaux, il faut instaurer un traitement agressif pour accélérer la guérison et prévenir la nécrose ou l’infection du doigt. On doit augmenter la dose du bloqueur des canaux calciques déjà en cours à la dose maximale tolérée, avec l’ajout  de nitroglycérine (en onguent ou en timbre transdermique) ou d’un agent sympatholytique au besoin. L’ajout d’aspirine à petite dose (81 mg par jour) est aussi utile pour favoriser une meilleure circulation locale.  Les ulcères peuvent être extrêmement douloureux et l’utilisation de médicaments narcotiques est souvent nécessaire.  S’il y a échec après quelques jours de traitement, il faut intensifier le traitement  davantage. Ceci se fait souvent par le sildénafil  ou, dans les cas plus sévères, un traitement intraveineux quotidien pendant cinq jours consécutifs avec de la prostacycline (Flolan®), suivi par un traitement d’entretien aux trois semaines par la suite. Le traitement au Flolan peut se donner aux soins ambulatoires. Une injection d’un produit anesthésiant (lidocaïne ou bupivicaïne) au niveau des doigts ulcérés (« sympathectomie chimique locale ») pourrait être efficace pour améliorer le flot de sang localement dans certains cas, mais avec des bénéfices qui sont généralement temporaires. Les injections ou la chirurgie au niveau de nerfs situés dans le cou (« sympathectomie cervicale ») pour empêcher les influx nerveux qui rétrécissent les vaisseaux digitaux ne sont plus que rarement utilisées en raison du manque d’efficacité à long terme et des risques associés potentiels.  

Les ulcères digitaux bien établis peuvent prendre jusqu’à plusieurs mois avant de guérir. Ils doivent être suivis de près par le médecin qui surveillera l’apparition d’infection ou une progression vers la nécrose. Les signes pouvant indiquer qu’une infection est présente sont un écoulement de pus par l’ulcère, la présence de rougeur et de gonflement important autour de l’ulcère et au niveau du doigt atteint, ou encore une progression rapide de l’ulcère. Il peut aussi y avoir de la fièvre et de grands frissons. Le médecin procèdera alors à une recherche de microbes (culture bactérienne) et, selon la gravité, prescrira des antibiotiques par la bouche ou par voie intraveineuse.

Dans les cas extrêmement sévères où le médecin estime qu’il y a risque de nécrose et d’auto-amputation de doigts (doigts qui restent blancs en permanence ou qui deviennent violacés malgré le traitement), un traitement d’urgence s’impose : le patient doit être hospitalisé et mis dans un endroit chaud et tranquille pour une surveillance accrue pendant le traitement ainsi que pour une investigation plus approfondie (prélèvements sanguins et évaluation de la perméabilité des vaisseaux en radiologie après l’injection locale d’un colorant, ou « artériographie »).  Le traitement d’ulcérations est maximisé, avec parfois l’ajout d’un anticoagulant intraveineux ou sous-cutané (héparine), et on ne tarde pas à débuter le Flolan et  la sympathectomie chimique locale au besoin.

Le bosentan (Tracleer®) est un médicament de la classe des antagonistes des récepteurs de l’endothéline-1 utilisé depuis quelques années pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire qui est parfois associée à la sclérose systémique (voir le chapitre sur ce sujet). Quoique le bosentan n’ait pas encore été officiellement approuvé pour le traitement d’ulcères digitaux, deux études récentes ont démontré que ce médicament pourrait être efficace dans la prévention d’ulcérations digitales multiples. Plusieurs patients sclérodermiques de l’Hôpital Notre-Dame du CHUM ont participé à ces études. D’autres études sont en cours pour explorer l’efficacité de nouveaux médicaments dans le traitement du PR et des ulcères digitaux, tels des nouveaux antagonistes des récepteurs de l’endothéline-1, des agents apparentés au sildénafil, et différentes prostaglandines et leurs analogues, visant des traitements plus efficaces avec moins d’effets secondaires.

Bulletin de Sclérodermie Québec, Hiver 2007, volume 11, numéro 2, pages 4 et 5

 

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