L’ATTEINTE PULMONAIRE ET SON TRAITEMENT DANS LA SCLÉROSE SYSTÉMIQUE – Première partie
Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal
L’atteinte des poumons est une des complications internes les plus fréquentes de la sclérose systémique (ou sclérodermie), survenant chez plus de 70% des malades. Elle peut affecter les poumons à des degrés variables, et confère généralement un pronostic plus sombre dans les cas plus sévères. Il existe deux types principaux de complications pulmonaires reliés à la sclérodermie : la maladie pulmonaire interstitielle (MPI) et l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), qui peuvent survenir de façon isolée ou coexister. Dans ce numéro, nous allons traiter de la MPI.
La MPI survient le plus souvent dans la sclérose systémique de forme diffuse, généralement durant les trois à cinq premières années de la maladie. Sur le plan clinique, les malades peuvent se plaindre de fatigue inexpliquée, de diminution de capacité à l’effort, d’essoufflement et/ou de toux sèche persistante. L’examen physique peut révéler des anomalies à l’auscultation des poumons avec le stéthoscope. Des examens dirigés permettent de préciser le diagnostic : radiographie pulmonaire, tests de fonction respiratoires (TFR), CT-scan pulmonaire à haute résolution, et bronchoscopie avec lavage broncho-alvéolaire dans certains cas pour la recherche de cellules inflammatoires. Une biopsie pulmonaire est rarement nécessaire, sauf dans les cas où le diagnostic demeure incertain malgré les investigations citées. Lorsqu’un diagnostic de MPI active est posé (présence d’inflammation au niveau des poumons, ou « alvéolite »), un traitement immunosuppresseur est généralement débuté pour diminuer l’activité des cellules immunitaires responsables de l’inflammation. Cependant, lorsqu’il s’agit de fibrose pulmonaire (MPI aux stades avancés avec surtout la présence de cicatrices dans les poumons), les traitements immunosuppresseurs peuvent être moins efficaces. Néanmoins, un traitement immunosuppresseur pourrait être tenté pour une période de quelques mois dans certains cas particuliers de fibrose progressive sans évidence d’inflammation significative au bilan.
Étant donné que les atteintes pulmonaires reliées à la sclérodermie sont souvent silencieuses dans les phases précoces de la maladie, les médecins traitants effectuent des tests de dépistage périodiquement chez leurs patients, sachant qu’un traitement approprié débuté rapidement donne les résultats les plus favorables.
Considérant que les traitements immunosuppresseurs peuvent engendrer des effets secondaires (p.ex. la baisse des globules blancs dans le sang ou une plus grande susceptibilité aux infections), la décision de débuter un traitement dans la MPI doit être prise après avoir évalué le risque de toxicité du traitement en comparaison avec les bienfaits escomptés. Il existe des indications précises pour débuter un traitement chez les malades atteints de MPI dans la sclérodermie: il s’agit de la présence de symptômes respiratoires, d’une fonction pulmonaire anormale ou en détérioration (tel que démontrée par les TFR), et d’une maladie « active » (progressive).
En raison de la rareté relative de la maladie, il est parfois difficile de mener des études de recherche clinique faites de manière optimale chez des patients sclérodermiques atteints de MPI. Cependant, les résultats de certaines études récentes nous démontrent qu’un traitement avec prednisone (« cortisone ») en comprimés associée à la cyclophosphamide (Procytox®) donnée par perfusion intraveineuse ou en comprimés serait efficace. De façon fort intéressante, cette combinaison de médicaments semblait aussi avoir un effet favorable au niveau cutané, avec une certaine amélioration de l’induration de la peau chez la majorité des patients. Une alternative pour les patients ne pouvant pas prendre la cyclophosphamide ou n’ayant pas répondu à ce médicament serait l’association de prednisone avec l’azathioprine (Imuran®) en comprimés.
Pour diminuer le risque accru de certaines infections associées aux médicaments immunosuppresseurs, il est recommandé d’entreprendre des mesures préventives, surtout contre certaines infections pulmonaires telles que celle causée par le microbe Pneumocystis jiroveci (ou « PCP »), en administrant du trimethoprim/sulfaméthoxazole (Septra®, un antibiotique utilisé très couramment) par la bouche trois fois par semaine pendant la durée du traitement. De plus, une prévention est essentielle par la vaccination contre la grippe annuellement et contre le pneumocoque aux cinq ans. L’administration d’oxygène à domicile est utilisée pour les malades gravement atteints.
Il existe aussi plusieurs traitements expérimentaux, qui sont actuellement en investigation dans des projets de recherche clinique. Par exemple, le mofétil mycophénolate (CellCept®) semblait prometteur dans une petite étude, mais des études plus importantes sont encore nécessaires pour confirmer les résultats. La greffe de cellules souches autologue est réservée pour les atteintes graves. Il s’agit du projet ASTIS – « Autologous Stem cell Transplantation International Scleroderma Trial » (www.astistrial.com). Le projet ASTIS est un projet européen visant à offrir ce traitement expérimental à des malades gravement atteints dans le but de reprogrammer leur système immunitaire et ainsi arrêter l’attaque auto-immune sclérodermique. Les rhumatologues de l’hôpital Notre-Dame au CHUM font équipe avec les hématologues de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (qui est un des principaux centres de greffe de moëlle au Canada) et sont maintenant un centre participant au projet ASTIS. À ce jour, plus de 85 malades ont été recrutés en France, en Suisse et en Allemagne avec des résultats encourageants. Les comités de la recherche et les comités d’éthique à la recherche de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et du CHUM ont donné le feu vert à notre équipe pour recruter des malades.
Enfin, dans les cas très avancés et ne répondant pas au traitement, une greffe des poumons ou cœur-poumons peut être envisagée après une évaluation médicale et multidisciplinaire détaillée.
Par ailleurs, plusieurs traitements utilisés dans le passé n’ont montré aucune efficacité pour la MPI dans des études plus récentes, tels que : D-pénicillamine (Cuprimine®), méthotrexate, colchicine, acide para-amino-benzoïque, chlorambucil, EDTA et le méthysergide. Ceci démontre l’importance de prouver par des projets de recherche rigoureux l’efficacité des traitements nouveaux dans la sclérodermie.
Lors du suivi des patients atteints de MPI, les objectifs de l’équipe médicale sont la recherche des signes d’amélioration ainsi que la recherche des effets secondaires possibles reliés au traitement. Le suivi se fait par le questionnaire médical, l’examen physique et par des tests périodiques : prélèvements sanguins mensuels (et analyse d’urine pour la cyclophosphamide) pour surveiller les effets secondaires potentiels, et investigations pulmonaires spécifiques aux trois à six mois (TFR et CT-scan pulmonaire à haute résolution) pour déterminer la réponse au traitement. Le traitement est poursuivi lorsqu’il y a évidence d’amélioration. La durée optimale du traitement efficace n’est pas encore déterminée dans les études, mais la stratégie généralement adoptée est de continuer les médicaments jusqu’à ce que l’amélioration atteigne un plateau, puis débuter une diminution graduelle par la suite. Le but visé alors n’est pas nécessairement d’arrêter les médicaments mais de donner les doses les plus faibles permettant de maintenir inactive l’atteinte des poumons tout en évitant les effets secondaires autant que possible. Au total, il peut être nécessaire de maintenir les traitements pendant plusieurs années.
La MPI est donc une atteinte potentiellement grave de la sclérodermie. Une surveillance attentive de la part des médecins traitants ainsi qu’un traitement immunosuppresseur précoce approprié peuvent améliorer la qualité de vie et l’espérance de vie des malades. Plusieurs études sont en cours pour identifier de nouveaux traitements efficaces et avec moins d’effets secondaires.
Le Bulletin de Sclérodermie Québec, Printemps 2007, volume 11, numéro 1, pages 4 et 5