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L’atteinte du système gastro-intestinal dans la sclérose systémique et son traitement – Première partie

Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites et Laboratoire de recherche en auto-immunité
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal

 

L’atteinte du système gastro-intestinal est présente chez presque tous les patients souffrant de sclérodermie, et peut exister même en l’absence de symptômes chez la moitié des malades. La fréquence est semblable dans la sclérodermie diffuse et limitée. L’atteinte la plus précoce et la plus courante est le mauvais fonctionnement (dysfonction) de l’œsophage (conduit digestif reliant la bouche à l’estomac). Cependant, une dysfonction peut affecter le tube digestif à n’importe quel niveau, allant de la bouche à l’anus. Les manifestations sévères sont tout de même peu fréquentes, survenant chez moins de 10% des patients. L’atteinte du système gastro-intestinal demande souvent l’évaluation par un spécialiste des maladies gastro-intestinales, le gastroentérologue.

Les anomalies du système gastro-intestinal sont causées par les mêmes mécanismes physiopathologiques que l’atteinte de tous les autres organes dans la sclérodermie : il y a des anomalies précoces au niveau des petits vaisseaux sanguins (microvaisseaux dont l’atteinte cause aussi le phénomène de Raynaud et les ulcères digitaux), au niveau du système nerveux qui contrôle les mouvements de propulsion de la digestion (péristaltisme), et au niveau du système immunitaire (globules blancs et autoanticorps), menant éventuellement à un affaiblissement des muscles du tube digestif et à la fibrose. Ce dernier stade est souvent associé à des symptômes plus prononcés.

Dans cette première partie, nous allons traiter de l’atteinte digestive supérieure : oropharyngée (bouche et gorge), œsophagienne, et gastrique (estomac).

 

L’atteinte oropharyngée

La fibrose des tissus de la bouche, incluant la langue, le palais mou (partie arrière du palais), et le larynx, ainsi que de la peau qui l’entoure mène souvent à un rétrécissement de l’ouverture de la bouche et peut occasionner plusieurs problèmes dus à une rigidité et un amincissement de ces structures. Ceci mène à des difficultés à mastiquer et avaler les aliments, surtout lorsqu’accompagné d’un manque de production de salive par atteinte des glandes salivaires (syndrome sec ou syndrome de Sjögren). Ces problèmes surviennent éventuellement chez 25% des malades. Les patients peuvent être incommodés durant les repas, avec des symptômes variés : douleurs au niveau de la bouche, sensation que la nourriture colle dans la gorge, rétention d’aliments dans la bouche ou la gorge, toux après avoir avalé, petite fuite de salive et/ou d’aliments aux coins de la bouche, et, rarement, aspiration d’aliments dans les poumons.  Certains patients peuvent aussi éprouver quelques difficultés à parler. Des problèmes au niveau de la dentition peuvent survenir également, tel qu’un malalignement des dents ou l’usure anormale (résorption) de l’os de la mâchoire et des gencives, en raison de la pression excessive causée par la peau tendue du visage.

Le traitement des problèmes de l’oropharynx demeure surtout axé sur la prévention et le soutien. Il est important de préserver la flexibilité de la peau du visage par des exercices réguliers. Une consultation en physiothérapie peut être utile pour enseigner les exercices les plus appropriés et dans certains cas des appareils d’étirement. Une bonne hygiène dentaire et des visites régulières (au moins deux fois par année) chez le dentiste aident beaucoup à prévenir les caries dentaires. Il existe plusieurs modèles de brosses à dents et d’applicateurs de soie dentaire adaptés aux patients avec mobilité réduite au niveau des mains, et l’avis d’un dentiste ou d’un ergothérapeute peut être utile. Le dentiste peut également suggérer des rince-bouches et dentifrices spécialisés qui offrent une protection accrue contre les caries. Il est important de contacter le dentiste lorsqu’il y a persistance de douleurs anormales ou d’ulcérations au niveau de la bouche, ou lorsque les dents deviennent trop mobiles.

Pour améliorer la sécheresse de la bouche, il faut boire de l’eau à des intervalles réguliers, manger des aliments mous, et utiliser des glaçons, de la gomme à mâcher sans sucre ou des bonbons sans sucre. Il faut aussi éviter le tabac, l’alcool et les aliments secs. Une rigidité importante de la bouche peut occasionner des difficultés à boire dans un verre régulier. Dans ce cas, l’utilisation d’une paille ou d’un verre spécialisé est utile. Si ces mesures sont insuffisantes, l’utilisation de salive artificielle ou certains médicaments qui stimulent la production de salive (Salagen®, ou Evoxac®) peuvent être envisagés, selon l’avis du médecin traitant. Dans les cas plus sévères et avancés, des injections locales pour augmenter le volume des lèvres ainsi que certaines interventions chirurgicales hautement spécialisées peuvent être employées pour améliorer la fermeture de la bouche et la mastication.

 

L’atteinte œsophagienne

L’atteinte de l’œsophage est la plus précoce et la plus fréquente atteinte digestive de la sclérodermie. Elle est présente éventuellement chez 90% des malades. Elle peut être mise en évidence par  la manométrie, qui consiste en un examen direct des mouvements de péristaltisme (motilité) de l’œsophage, ainsi que de l’étanchéité de la fermeture entre l’œsophage et l’estomac (sphincter œsophagien inférieur), la motilité et l’étanchéité pouvant être réduites ou absentes dans la sclérodermie. D’autres examens, par exemple le repas baryté ou l’œsophagoscopie (passage d’un tube dans l’œsophage pour visualisation directe) sont souvent employés pour rechercher des complications diverses, telles que les ulcères, les sténoses (rétrécissements de l’œsophage), ou les infections. Les symptômes les plus fréquents associés à l’atteinte œsophagienne sont dus aux problèmes suivants :

1) Reflux gastro-œsophagien: Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est causé par l’incompétence du sphincter œsophagien inférieur qui normalement se ferme après le passage des aliments de l’œsophage à l’estomac. Tel que mentionné ci-haut, cette incompétence est une des premières anomalies de la sclérodermie et elle peut être la raison qui amène la personne à consulter son médecin pour la première fois. La perte d’étanchéité qui en résulte permet au contenu très acide de l’estomac de remonter dans l’œsophage, et peut mener à plusieurs symptômes : sensations de brûlements ou de douleurs (spasmes) dans la poitrine ou dans le creux de l’estomac après avoir mangé,  et pouvant aussi survenir durant la nuit.

 

Le traitement du RGO est d’abord basé sur la modification des habitudes de vie : 

  • établir et maintenir un poids normal car un poids excessif favorise le RGO
  • élever la tête du lit avec des blocs sous les pattes (les oreillers sont inefficaces)
  • au lieu de 3 repas par jour, consommer plusieurs petits repas à des intervalles réguliers
  • éviter les aliments acides, épicés, riches en gras ainsi que certains aliments plus difficiles à digérer (p. ex., chou, oignons, brocoli)
  • éviter de se coucher moins de trois heures après un repas
  • cesser le tabac
  • minimiser la consommation d’alcool et de caféine.

 

Il est important de noter que certains médicaments utilisés pour traiter d’autres  manifestations de la sclérodermie, tel que les anti-calciques (p. ex. Adalat®) pour le phénomène de Raynaud peuvent parfois aggraver le RGO. Si la modification des habitudes de vie n’est pas suffisante, les médicaments les plus efficaces pour traiter le RGO sont de la classe des inhibiteurs de la pompe à protons, ou IPP, tels que :

  • Oméprazole (Losec®) 20 mg par jour (peut être augmenté à 20 mg deux fois par jour ou même jusqu’à 40 mg deux fois par jour chez certains patients)
  • Pantoprazole (Pantoloc®) 40 mg par jour
  • Lansoprazole (Prévacid®) 15 à 30 mg par jour
  • Esoméprazole (Nexium®) 20 à 40 mg par jour
  • Rabéprazole (Pariet®) 10 à 20 mg par jour

 

L’utilisation soutenue de ces médicaments à long terme n’est pas associée à des effets néfastes. Chez certaines personnes qui ne répondent pas à l’un ou l’autre des médicaments précédents, l’ajout d’un médicament à action différente  (i.e. bloqueurs des récepteurs H2), tel que la famotidine (Pepcid®) 20 mg deux fois par jour ou la ranitidine (Zantac®) 150 mg ou 300 mg au coucher peut être efficace.

Les chirurgies pour corriger le RGO sont réservées aux patients avec reflux grave réfractaire à tout traitement, puisqu’elles peuvent parfois aggraver certains symptômes digestifs, et les bénéfices ne sont pas toujours durables.

 

2)     Hypomotilité: La diminution des mouvements normaux de l’œsophage (hypomotilité) peut résulter en des difficultés à avaler ou la sensation que les aliments collent dans la gorge. Contrairement au RGO, le traitement de l’hypomotilité est surtout médicamenteux, avec des agents qui stimulent les mouvements de l’œsophage et ainsi la propulsion des aliments (médicaments prokinétiques). Les médicaments les plus utilisés sont le dompéridone et le métoclopramide de l’ordre de 10 mg quatre fois par jour à prendre trente minutes avant les repas. L’érythromycine (250 mg trois fois par jour, trente minutes avant les repas) peut parfois être utile si les autres médicaments ont échoué. Par contre, à cause de la possibilité d’effets secondaires et d’interactions indésirables avec certains autres médicaments, ces traitements devraient être prescrits et suivis avec précaution.

Il est aussi important d’éviter si possible, ou de n’employer qu’avec prudence, certains médicaments qui pourraient accentuer les risques d’ulcération de l’œsophage chez les patients sclérodermiques, tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens, l’aspirine, les tétracyclines, la quinidine, le chlorure de potassium et les biphosphonates en comprimés employés dans le traitement de l’ostéoporose, tels que l’alendronate (Fosamax®) ou le risédronate  (Actonel®). Les médecins spécialistes du traitement de la sclérodermie sont familiers avec les indications et les effets secondaires potentiels de ces médicaments, et ils évaluent toujours le pour et le contre dans toute décision de les prescrire.  

 

3)     Sténose: Le rétrécissement de l’œsophage (sténose) risque de survenir si le RGO est prolongé et sans traitement. Ceci peut donner des difficultés importantes à avaler les aliments (sensation de blocage des aliments dans la poitrine ou le creux de l’estomac) ainsi que la régurgitation de liquide par la bouche. Le traitement de la sténose consiste en la dilatation du rétrécissement après le passage d’un tube dans l’œsophage (œsophagoscopie) par le gastroentérologue.

 

4)     Infection: Certains symptômes oesophagiens résistants aux traitements usuels peuvent être causés par une infection à champignon (Candida). Le diagnostic est posé par œsophagoscopie et un traitement est très efficace : il s’agit du médicament nystatin  sous forme de suspension liquide 400 000 unités à 600 000 unités quatre fois par jour pendant deux semaines, ou du fluconazole 100 mg une fois par jour pendant sept jours.

 

L’atteinte gastrique

La fibrose de l’estomac est souvent moins prononcée que celle des autres parties du tube digestif, d’où la rareté de symptômes importants. Les symptômes principaux dans les cas plus sévères sont dus au ralentissement de la vidange du contenu gastrique (gastroparésie) et plus rarement les saignements de l’estomac.

 

1)     Gastroparésie: Le ralentissement de la vidange du contenu gastrique résulte en la sensation d’être rassasié peu après avoir débuté un repas, des ballonnements et des vomissements plus ou moins sévères débutant quelques heures après les repas. Les symptômes sont souvent intermittents, avec des périodes d’accalmie pouvant durer plusieurs mois. Cependant, ce problème peut mener à une perte de poids et des déficiences nutritionnelles significatives avec le temps. Certains examens peuvent donner des indices indirects de la présence de gastroparésie (repas baryté ou œsophagoscopie), mais l’examen le plus fiable demeure la scintigraphie en médecine nucléaire. Le traitement est semblable à celui de l’hypomotilité de l’œsophage (voir ci-haut), mais les médicaments sont moins efficaces. Lors des périodes de vomissements, il est préférable d’utiliser certains médicaments qui réduisent les nausées (tels que Gravol® 50 à 100 mg ou Stémétil® 10 mg trois fois par jour) et d’éviter les aliments solides.

 

2) Les saignements: Des dilatations anormales des petits vaisseaux sanguins (télangiectasies) ou des veines (ectasies veineuses) sont parfois présentes au niveau de l’estomac. Ces anomalies peuvent donner des saignements plus ou moins importants, qui entraînent de l’anémie et de la fatigue nouvelle. Si le saignement est important, il peut y avoir apparition de selles de couleur noire ou des vomissements de sang. Mais le plus souvent le saignement se fait à bas bruit et l’apparition progressive d’une fatigue nouvelle et parfois de l’essoufflement seront les seuls symptômes. Le diagnostic ainsi que le traitement (coagulation des vaisseaux anormaux par rayon laser) nécessitent une visualisation directe par œsophagoscopie. Ces traitements sont habituellement très efficaces, mais doivent d’habitude être répétés périodiquement (par exemple à plusieurs mois d’intervalle). Une résection chirurgicale d’une partie de l’estomac est très rarement pratiquée de nos jours.

 

Conclusion

Malgré la complexité des différents symptômes reliés à l’atteinte digestive chez les patients sclérodermiques, la majorité des patients mènent une vie relativement normale en suivant les recommandations de leurs médecins et en ayant un suivi médical approprié.

Dans la deuxième partie, nous aborderons les problèmes reliés à l’atteinte du système gastro-intestinal inférieur (petit intestin et gros intestin ou colon) et leurs traitements, ainsi que des atteintes plus rares (foie et pancréas).

Le Bulletin de Sclérodermie Québec, Hiver 2008-2009, volume 12, numéro 2, pages 4 et 5

 

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