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L’atteinte du système gastro-intestinal dans la sclérose systémique et son traitement – Deuxième partie

Tamara Grodzicky, MD, FRCPC
Rhumatologue
Clinique des connectivites
Hôpital Notre-Dame, Centre Hospitalier de l’Université de Montréal

 

L’atteinte du système gastro-intestinal est présente chez presque toutes les personnes souffrant de sclérodermie, et peut exister même en l’absence de symptômes chez la moitié des malades. La fréquence est similaire dans la sclérodermie diffuse et limitée. L’atteinte la plus précoce et la plus courante est le mauvais fonctionnement (dysfonction) de l’œsophage (conduit digestif reliant la bouche à l’estomac). Cependant, une dysfonction peut affecter le tube digestif à n’importe quel niveau, allant de la bouche à l’anus. Les manifestations graves sont tout de même peu fréquentes, survenant chez environ 10% des patients. L’atteinte du système gastro-intestinal demande souvent l’évaluation par un médecin spécialiste des maladies gastro-intestinales, le gastro-entérologue.

Les anomalies du système gastro-intestinal sont causées par les mêmes mécanismes physiopathologiques que l’atteinte de tous les autres organes dans la sclérodermie : il y a des anomalies précoces au niveau des petits vaisseaux sanguins (microvaisseaux, dont l’atteinte cause aussi le phénomène de Raynaud et les ulcères digitaux), de même qu’au niveau du système nerveux qui contrôle les mouvements de propulsion de la digestion (péristaltisme), et au niveau du système immunitaire (globules blancs et autoanticorps), menant après plusieurs années à un affaiblissement des muscles du tube digestif et à la fibrose. Ce dernier stade est souvent associé à des symptômes plus prononcés.

Dans cette deuxième partie, nous allons traiter de l’atteinte digestive inférieure (petit intestin et  gros intestin ou colon), ainsi que des atteintes plus rares (foie, voies biliaires et pancréas).

 

L’atteinte du petit intestin

Des anomalies de la fonction du petit intestin sont rapportées chez 20 à 60% des patients atteints de sclérodermie. Les symptômes les plus fréquents associés à ces anomalies sont dus aux problèmes suivants :

 

1)     La malabsorption : Environ 10 à 30% des patients sclérodermiques souffrent de malabsorption. Normalement, l’absorption des nutriments contenus dans les aliments ingérés se fait spécifiquement à partir du petit intestin vers la circulation sanguine. Il faut savoir que les bactéries qui résident dans le petit intestin, appelées flore bactérienne normale, ont un rôle important dans la digestion et l’absorption des aliments en temps normal.  Or, chez les patients sclérodermiques, il peut survenir une réduction de la capacité du petit intestin à se contracter de façon efficace et donc de bien propulser les aliments à travers le tube digestif. Ce transit intestinal ralenti favorise un développement excessif de la flore bactérienne normale du petit intestin, menant à des problèmes d’absorption de nutriments.

La malabsorption se manifeste par plusieurs symptômes qui sont d’habitude intermittents : sensation de ballonnement abdominal, douleur abdominale et constipation (arrêt des matières fécales). Lorsque le problème devient plus important et prolongé, on peut retrouver de la diarrhée et de la perte de poids, menant éventuellement à une malnutrition plus ou moins sévère. La malabsorption est souvent soupçonnée par le médecin à cause des symptômes typiques rapportés par le patient. Un examen radiologique (« étude de l’intestin grêle » ou « transit intestinal ») peut alors démontrer des anomalies suggestives d’une atteinte du petit intestin (dilatation des anses intestinales, ralentissement du temps de transit et autres anomalies). Cet examen peut être faussement négatif dans les stades plus précoces. Le meilleur examen pour mettre en évidence la malabsorption est le « breath test ». Cet examen se fait en médecine nucléaire, et consiste en l’administration d’une charge prédéterminée de sucre contenue dans une boisson avec mesure subséquente des produits de dégradation du sucre dans l’air expiré par le patient. Une investigation endoscopique (introduction d’un petit tube par la bouche jusqu’au petit intestin) par un gastro-entérologue peut parfois être nécessaire chez la personne ne répondant pas au traitement, ou lorsqu’un autre diagnostic est recherché.

Le traitement de la malabsorption consiste en la prise d’antibiotiques par la bouche pour rétablir une flore intestinale normale. Cette antibiothérapie est typiquement administrée de façon cyclique, c’est-à-dire que la prise d’antibiotique est intermittente (par exemple pendant 3 semaines d’affilée) avec des intervalles sans antibiotique (par exemple pendant une semaine) puisque la prise continue du même antibiotique est associée à de moins bons résultats. De plus, il y a habituellement une rotation dans les antibiotiques utilisés. Ainsi, par exemple, la personne prend un premier antibiotique durant la première semaine, un second pendant la deuxième semaine et un troisième durant la troisième semaine, puis elle fait une pause (aucun antibiotique) pendant la quatrième semaine. Les antibiotiques les plus souvent utilisés de cette manière cyclique sont les suivants : tétracycline, amoxicilline avec clavulanate, trimethoprim, céphalosporine, ciprofloxacin et métronidazole. Les données précédentes sont citées seulement à titre d’exemple car la sélection des antibiotiques, leur durée d’administration et la séquence de rotation nécessaires pour arriver à un bon contrôle des symptômes doivent être adaptées à chaque malade.

Il est encourageant de savoir que, dans notre expérience, l’antibiothérapie cyclique est habituellement efficace pour interrompre la malabsorption et ses symptômes. Certains malades peuvent même avoir une rémission prolongée (plusieurs mois) de la malabsorption après une certaine durée de traitement cyclique. Il est essentiel que ces traitements complexes soient supervisés par des médecins spécialisés en sclérodermie.

 

2)     La dysmotilité : Les mouvements anormaux de contraction et de propulsion des aliments (dysmotilité) qui sont si souvent présents au niveau de l’œsophage, peuvent aussi être présents au niveau du petit intestin. Les symptômes de la dysmotilité du petit intestin sont des douleurs abdominales, un ballonnement de l’abdomen, la constipation, et dans les cas plus sévères, la malabsorption tel que discuté dans la section précédente. Le traitement de la dysmotilité du petit intestin est le même que pour celle de l’œsophage, notamment les agents qui stimulent les  contractions du  tube digestif et ainsi la propulsion des aliments (médicaments prokinétiques). Les médicaments les plus utilisés sont le dompéridone et le métoclopramide de l’ordre de 10 mg quatre fois par jour, à prendre trente minutes avant les repas. L’érythromycine (250 mg trois fois par jour, trente minutes avant les repas) peut parfois être utile si les autres médicaments ont échoué. À cause de la possibilité d’effets secondaires et d’interactions indésirables avec certains autres médicaments, tous ces traitements doivent être prescrits et suivis avec précaution. Malheureusement, la dysmotilité du petit intestin répond parfois moins bien au traitement que la dysmotilité de l’œsophage.

Certaines personnes atteintes de malabsorption peuvent avoir des diarrhées chroniques extrêmement incommodantes. Dans ce cas, en plus de l’antibiothérapie cyclique, l’administration d’octréotide sous forme d’injection sous-cutanée au coucher peut souvent améliorer grandement la diarrhée. Ce traitement devrait être débuté et suivi par un médecin spécialisé en sclérodermie.

 

3)     Les pseudo-occlusions : Les pseudo-occlusions intestinales sont des épisodes prolongés de diminution importante de la contraction du petit intestin (dysmotilité sévère), avec l’arrêt complet de la progression des aliments dans le tube digestif. Ces épisodes sont associés à des douleurs abdominales sévères, ballonnement important, et même des vomissements. Le traitement des pseudo-occlusions dans la phase aiguë consiste en l’arrêt de la prise d’aliments ou de liquides par la bouche jusqu’à la résolution de la crise, l’amélioration pouvant survenir spontanément dans plusieurs cas.

Entre les épisodes de pseudo-occlusion, le patient devrait adhérer à une diète sans lactose et faible en fibres, et les gras devraient être remplacés par des triglycérides à chaîne moyenne. Certains patients nécessitent des injections de vitamine B12, ainsi que des suppléments de calcium, fer, et de vitamines. Une consultation avec une personne spécialisée en nutrition clinique est souvent utile.

Dans les cas plus sévères de pseudo-occlusion, une courte hospitalisation peut être nécessaire pour assurer une bonne hydratation (administration de liquide par une veine). La chirurgie abdominale devrait généralement être évitée dans les pseudo-occlusions dues à la sclérodermie.

Lorsque les épisodes de pseudo-occlusion sont fréquents et/ou sévères, les médicaments pro-kinétiques peuvent être tentés prudemment. S’il y a échec aux différents traitements disponibles, y compris l’antibiothérapie cyclique, un état de malnutrition risque de s’installer, causant peu à peu une fonte de la musculature, un amaigrissement et une perte de poids. Cette condition est dangereuse pour la vie et la nutrition totale parentérale (administration de nutriments essentiels par un cathéter intra-veineux permanent) peut être nécessaire. La nutrition totale parentérale est une mesure grave, de dernier recours, utilisée chez les malades sclérodermiques dont l’atteinte du petit intestin est tellement marquée qu’il n’y a plus d’absorption des nutriments. Cette mesure demande une grande discipline de la part des malades car ils doivent s’auto administrer les nutriments par voie intra-veineuse. Par contre, la nutrition totale parentérale peut se faire à domicile et c’est une mesure très efficace pour maintenir un état de nutrition normal.

 

L’atteinte du gros intestin 

L’atteinte du gros intestin ou colon survient chez 10 à 50% des patients sclérodermiques et peut aussi survenir précocement. Elle se manifeste le plus souvent par une dysmotilité de la dernière partie du colon, notamment le rectum et l’anus. Ces anomalies sont associées à des symptômes souvent très incommodants, tels que la constipation (moins de deux selles par semaine) et de l’incontinence fécale (perte involontaire des selles). Les médicaments pro-kinétiques pourraient être tentés pour traiter la constipation, mais ils sont malheureusement peu efficaces. Lorsque l’incontinence s’accompagne de diarrhées, le traitement est celui de la malabsorption (régime cyclique d’antibiotiques par la bouche discuté ci-haut), une diète faible en résidus, des médicaments contre la diarrhée (p. ex. le lopéramide), et des résines pour conjuguer les acides biliaires (p. ex. le choléstyramine).  Les patients ne répondant pas à ces traitements peuvent parfois bénéficier de techniques spécialisées, telles que le bio-feedback ou l’emploi d’un électrostimulateur pour le sphincter anal.

Les problèmes beaucoup plus rares sont le prolapsus du rectum et la perforation du colon, tous deux nécessitant une consultation rapide en chirurgie.

 

L’atteinte du foie, des voies biliaires et du pancréas

Les problèmes touchant le foie et les voies biliaires sont peu fréquents dans la sclérodermie. L’atteinte du foie la plus fréquente est la cirrhose biliaire primitive (maladie inflammatoire chronique du foie d’origine auto-immune), se retrouvant surtout dans la sclérodermie de forme localisée. Cette maladie cause typiquement peu de symptômes au début et il est prudent d’en faire le dépistage par des tests sanguins lors du diagnostic de sclérodermie. Le traitement de la cirrhose biliaire primitive associé à la sclérodermie est habituellement efficace, mais il nécessite un suivi régulier par un médecin hépatologue (spécialisé en maladies du foie) ou gastro-entérologue.

Une insuffisance du fonctionnement du pancréas par fibrose est rarement rapportée dans la sclérodermie. Elle devrait cependant être recherchée lorsqu’il y a persistance de symptômes de malabsorption malgré un traitement adéquat. Si une insuffisance pancréatique est confirmée par des tests spécifiques, un traitement avec des suppléments d’enzymes pancréatiques pourrait être bénéfique.

 

Conclusion

Malgré la complexité des différents symptômes reliés à l’atteinte digestive chez les patients sclérodermiques, il faut souligner que la majorité des patients mènent une vie relativement normale en suivant les traitements recommandés par leurs médecins et en ayant un suivi médical approprié.

Le Bulletin de Sclérodermie Québec, printemps 2009, volume 13, numéro 1, pages 4 et 5

 

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